- HISTOIRE D’O
- HISTOIRE D’OHISTOIRE D’O«Qui suis-je enfin [...] sinon la part longtemps silencieuse de quelqu’un, la part nocturne et secrète, qui ne s’est jamais publiquement trahie par un acte, par un geste ni même par un mot, mais communique par les souterrains de l’imaginaire avec des rêves aussi vieux que le monde?», écrit Pauline Réage dans Une fille amoureuse , qui pourrait servir de préface à Histoire d’O (1955) autant qu’à Retour à Roissy . On s’est longtemps demandé qui se cachait derrière le pseudonyme de Pauline Réage (prénom de «deux célèbres dévergondées», Pauline Borghèse et Pauline Roland; et nom donné dans la Manche à un quartier d’une commune: «un jour sur un cadastre...» Tour à tour les noms de Jean Paulhan, André Pieyre de Mandiargues et Dominique Aury furent avancés. Ce n’est que très tardivement — en 1994 — que celle-ci a reconnu être l’auteur d’Histoire d’O et de Retour à Roissy . Par-delà les questions d’attribution touchant une œuvre dont l’anonymat constitue la vérité profonde («Au reste, rien n’est plus fallacieux et mouvant qu’une identité»), il suffit peut-être de savoir que c’est une femme qui a écrit non pas «les mémoires d’une Belle», mais «cette autre vie obscure qui console de la vie», l’histoire donc d’«une idée, une fumée, une douleur, la négation d’un destin»: O. Ce roman célèbre est un roman d’amour classique, où l’amour impose le sens (ainsi la douleur peut-elle devenir plaisir) et, l’investissant toute, contraint la réalité quotidienne à se dépasser: il y a bien là quelque chose de La Princesse de Clèves , par exemple; la marque et les anneaux ne sont pas moins nécessaires que le cloître ou le rendez-vous dans le noir, «résolvant, comme dit Georges Bataille, la fascination de l’érotisme dans la fascination plus grande de l’impossible». Mais Sade a libéré le dire érotique, voire érogène, de l’érotisme, et la sensibilité comme la théorie modernes ont mis à nu les ambivalences et les complicités du bourreau et de la victime. Histoire d’O se situe donc au confluent, parlant à la fois de dignité et de prostitution: «Qu’à être prostituée elle dût gagner en dignité étonnait, c’est pourtant de dignité qu’il s’agissait.» L’endurance descriptive et le glacis du style, à lui-même sa propre métaphore, cette «incroyable décence» (Jean Paulhan, Le Bonheur dans l’esclavage ) qui pourtant rappelle Mme de Lafayette et Sade à la fois, suggèrent aujourd’hui une lecture de ce roman plus décisivement «moderne»: un pur effet de surface, sans profondeur, thèse ni but, buée sur un carreau nocturne.
Encyclopédie Universelle. 2012.